LES RUMEURS

Or donc, il était une fois un roi qui se morfondait dans son château...
Las d'arracher les ailes des mouches il fit appeler son chambellan.
Votre Majesté a mandé son chambellan ?
Ah ! Ansleme, as-tu des nouvelles de la succession de Bretisal ?
Les héritiers ne semblent pas avoir encore tenu leur conseil de famille votre altesse.
Diantre ! Bientôt 9 longs mois que nous l'avons proprement occis sur son île de sauvages ! Il lui avait déjà fallu près de 3 ans pour recruter une armée à peu près digne de notre rang. Combien de temps encore avant de pouvoir repartir en campagne et nous couvrir de gloire ? Ne peut-on hâter les choses ? On nous rapporte pourtant moult rumeurs dont l'origine n'est guère douteuse. Il n'y a pas de fumée sans feu... Hahaha ! Hihihi ! Hohoho! Houhouhou ! Oh ! Kof!Kof !Kof !
Las, votre Grâce, impossible de débusquer sa famille. Les informateur craignent qu'il ne faille... Patienter...
PATIENTER !? Foutre Dieu ! Maudit cancrelat ! Tu voudrais que le roi des rois attende d'être servi ? Disparais de notre vue misérable avorton et fais mander notre scribe !
Le chambellan se retira. Peu de temps après le scribe fit son entrée.
Ah ! Babillard! Enfin ! Conte nous séant le récit de notre prochaine victoire sur le successeur de Bretisal !
Eh bien voilà votre Grandeur, une furieuse bataille s'engage contre les forces du vil félon. Rapidement débordées elles se débandent et sont étripées sans merci. Le gredin se trouvant seul tente de fuir mais cerné de toutes parts il fait volte-face et dans un sursaut d'orgueil, brandissant sa lourde épée se rue en hurlant sur le roi impassible, mais l'épée est top lourde pour ses faibles bras, déséquilibré, il glisse sur une bouse et se plante l'épée dans l'oeil...
Mouuuuui... Mais nous préférons que ce soit nous qui l'expédions dans la bouse par une vigoureuse parade et un audacieux croc en jambe et qu'en choyant il se mette l'épée dans le fondement.
Magnifique votre Immensité quel brillant esprit vous avez. Il en sera ainsi.
Bien. Il faudra aussi trouver des motifs à notre intervention. Tu établiras une liste de voleries, tueries et moult persiflages qu'il convenait de châtier sans délai. Que chacun sache que notre bras est guidé par l'honneur et la justice.
Honneur et justice, c'est noté votre Magnificence.
A présent, laisse-nous et va-t-en quérir le connétable.

Il était une fois un roi qui se morfondait dans son château.
Depuis des mois, malgré, la chasse et les expéditions contre les sectes et les brigand du voisinage, lesquelles lui fournissaient en abondance des trophées pour ses murs, de la chair fraîche pour garnir ses geôles, occuper ses maistres-queux et exercer ses tourmenteurs, malgré les joutes où, sous son regard impassible, au son des trompettes la fine fleur de la chevalerie s'embrochait et se pourfendait dans l'allégresse, malgré les bals et les fêtes somptueuses où le tout Kald se pressait, se trémoussait, bâfrait et et s'esbaudissait à la vue des feux d'artifices tirés en son honneur, malgré tout cela et bien d'autres menus plaisirs délicats, l'ennuie le gagnait. Son quotidien était devenu morose, assister aux exécutions, voire prêter la main à la question ou à une séance d'estrapade, allumer un bûcher, énucléer l'un, démantibuler l'autre, écorcher le troisième ne lui procurait plus la jouissance de naguère, les entrevues avec son régisseur et la gestion de ses domaines étaient devenues une torture.
Même les séances d'arrachages de pattes et d'ailes des bestioles que lui procurait son jardinier ne l'amusaient plus. Lui qui à l'accoutumée reprenait toujours des mouches, avait à peine ce jour d'hui entamé le premier plat avant de le repousser d'un geste brusque...

En l'an de grâce mil six cent trente et cinq du royaume de Kald, il se dit que d'après le dernier recensement, on dénombre :

38 millions d'âmes

- 19 mercenaires
- 5 suzerains sans vassalité dont 2 rois
- 2 religieux

Sur les 19 mercenaires, 7 entretiennent une armée mais aucune n'est en mesure de rivaliser avec celle des nobles ou du clergé.
Sur ces 7 mercenaires, seul le général qui courre les quêtes semble manifester une réelle activité, 4 sont des novices et 2 attendent peut-être que leur aloi s'améliore.
Les 12 autres, ruinés se morfondent quelque part en massif implorant une mort qui tarde à les emporter.

Les 2 rois dont les familles sont liées de longue date possèdent plus de 2000 provinces quand le reste de la noblesse en possède moins de 600 et l'église environ 300.

Environ 500 familles ont déserté Kald, n'ont pas nommé de successeur ou ont disparues sans
postérité.

Le destin de Kald est entre les mains d'une dizaine de familles.

On raconte que Goupelin, défenseur de la foi et de la langue française, aurait trouvé un dictionnaire et ferait désormais de belles phrases.

On espère que lui, au moins, en comprend le sens.

"Rester sur une île et se faire oublier" c'est une sacrée bonne idée proclament les pintades de la basse-cour.
Il se dit que cette idée a beaucoup fait glousser les poules.

Mais d'autres cancanent que ça ne suffira pas. Pour vivre en Kald, il faut courber l'échine et ramper. Et si on l'ouvre il faut flatter.

Coinjoin,Mercenaire est mort dans son sommeil à l'âge de 44 ans.

Dans l'aven d'un reg, une ville de paveillons et aucubes abritée des tempêtes accueillait ses derniers habitants pour entreprendre une longue route :
le travail clérical en Yrédia avait enfin porté ses fruits.

Dans le camp se propageaient les jaseries nouvelles de Kald. On aurait aperçu leur administrateur tantôt au presbytère, tantôt dans une chapelle privée, ou encore soucieux d'un piètre gocet. Des réseaux clandestins auraient été démantelés par une royauté.

Là, distinguable par son bréviaire à la ceinture, le cardinal était tout à sa prochaine campagne auprès des plus démunis.
Les houliers, les poltrons, les mécréants pouvaient bien japper menteries. Les actes parlent plus fort aux oreilles du peuple comme à celles du Seigneur.

On raconte que plus personne en Kald ne supporte la famille de Bretisla.

"Qu'il reste sur une île et qu'il se fasse oublier" peut-on entendre dans les cours des plus grands seigneurs de Kald et à l'Eglise.

Il se murmure au presbytère, que le bedeau témoin de l'état extatique du cardinal en contemplation devant la chandelle aurait déclaré :
"Crévindiou dam' Jeanne ! Faudrait voir à préparer un sceau d'eau et des pansements. Si le bougre confond la chandelle et son goupillon, vous allez voir qu'y va s'brûler et nous fout' le feu à sa paillasse !"

Il se murmure dans les cloîtres et les places que le cardinal Goupelin, réputé pour sa piété et son calme imperturbable, aurait accueilli la nouvelle de la chute de Bretislav avec une sérénité teintée d’une certaine satisfaction. On raconte qu’il aurait contemplé longuement une chandelle vacillante dans sa chapelle privée, murmurant une prière silencieuse.

Cependant, des serviteurs zélés, qui passaient par là, jurent avoir aperçu une lueur d’allégresse dans son regard. Car, après tout, Bretislav avait tant de fois défié la morale et semé le trouble, contre les principes mêmes que défend l’Église.

Certains rapportent que, dans une homélie récente, le cardinal aurait évoqué la chute des orgueilleux et l’extinction de ceux qui, en s’opposant à l’ordre divin, finissent par se consumer eux-mêmes. D’autres, plus espiègles, suggèrent que cette homélie, bien que générale, résonnait comme un adieu implicite à Bretislav, ce fauteur de troubles dont les ruses et moqueries semblaient sans fin.

Quoi qu’il en soit, la disparition de Bretislav n’a laissé personne indifférent. Et si le cardinal Goupelin demeure, comme toujours, dans la dignité et la retenue, il ne fait aucun doute que cette page tournée doit être pour lui une source de soulagement, voire d’un discret contentement.