LES RUMEURS

Dans les auberges et sur les marchés, il se murmure que le roi Prométhée, excédé par les agissements de Bretisal, petit-fils du fameux Vladivoj, aurait pris une décision aussi audacieuse que calculée. Loin de mobiliser toute son armée, il aurait sélectionné une poignée de ses meilleurs combattants et les navigateurs les plus chevronnés de son royaume pour prendre la mer avec comme destination lîle de Tchalan, où Bretisal, fidèle à sa réputation d’agité, conspirait en compagnie de ses persifleurs.

Sur place, la scène aurait été aussi absurde que tragique. Dans une grande salle enfumée, Bretisal se serait trouvé en pleine moquerie à l’encontre du pieux cardinal Goupelin, parodiant ses prières et tournant en ridicule son autorité. Mais lorsque Prométhée fit irruption, accompagné de ses hommes, les rires se seraient bien vite éteints. Les regards se seraient tournés vers Bretisal, qui, loin de se démonter, aurait tenté une sortie grandiose. Drapé d’une cape bien trop grande pour lui, il aurait avancé avec un zèle théâtral, trébuchant sur ses propres pas et roulant jusqu’aux pieds des gardes royaux.

Les témoins rapportent que Prométhée, impassible, aurait observé la scène sans dire un mot, laissant le ridicule de Bretisal parler pour lui. Ce dernier aurait été emmené sans résistance jusqu’au billot, comme s’il connaissait mieux ce chemin que celui de la prudence.

Ainsi s’est scellé le sort de celui qui préférait les mots aux actes, laissant l’île de Tchalan dans un calme qu’elle n’avait pas connu depuis des années.

Il se raconte depuis que, dans le jeu des provocations et des railleries, celui qui va trop loin finit toujours par tomber sur plus implacable que lui.

D'aprés les dires de certains, Sire Bretisla le cruel,Capitaine Mercenaire aurait péri en palais de Pitki (243) en Tchalan lors d'un affrontement avec Sire Prométhée le cruel,Roi d'Artac.

La rumeur sait bien que seul un mercenaire vivant de petits trafics et ses sbires tyrannisés se gaussent du Cardinal dans sa taverne.

En effet, le peuple des provinces d'Ostrie sous la tutelle du cardinal sait depuis longtemps que son administration par l'Eglise n'est que temporaire, annoncée par leur légitime souverain Ihosy.

Que les Ostriotes préfèreraient tels Cardinaux travaillant à leur profit, plutôt qu'un mercenaire ne vivotant que de viles et basses rapines...

Il paraît que dans les tavernes d'OStrie on rit beaucoup et on se gausse de celui que l'on se plaît à surnommer "Goupieux le plein", qui a depuis des lustres abandonnés ses domaines d'Andurie et de Mortaisie pour évangéliser les sauvages d'Yrédia. Les églises tombent en ruine et servent de refuge aux poules et aux brebis égarées, le peuple est retourné vers ses anciennes croyances et il n'est plus personne pour le saigner ni le rançonner.
A la nouvelle que le bouffon mitré aurait sollicité sire Gilgamesh afin de lui confier ses possessions d'Ostrie, d'aucuns s'esclaffent de plus belle. "Pourquoi diable ce brave homme que dieu a en sa sainte garde, qui ne craint rien ni personne a t'il renoncé à sa mission ?
Selon la rumeur ne réside en Ostrie qu'un mercenaire impotent."

On raconte que Dame Figia Mercenaire a trouvé la mort aujourd'hui en désert de Mitinus (83) en Dorasterre.

Il se dit dans tout Kald que cette rumeur Ostriote serait en réalité le simple cauchemar d'un mercenaire impotent né des frustrations des échecs de ses aïeux.

Il se dit également que le cardinal remercierait le mercenaire de faire ainsi la promotion de son action par ses médiocres logorrhées grossièrement mensongères.

Labouré par les fers des chevaux harnachés pour la guerre, le sol émet un sourd tremblement. Amplifié par le pas lourd des piétons il se répercute à des lieues à la ronde et fait vibrer les masures. Le serf inquiet interrompt son ouvrage et contemple les milliers d'hommes en arme qui disparaissent dans la brume de la prairie fumante...
Le cardinal chevauche à la tête de ses troupes, une main tenant fermement les rennes, l'autre brandissant haut l'étendard du Christ rédempteur. Il a le port de tête altier. Coiffé de son heaume étincelant surmonté de la sainte croix, revêtu de sa cuirasse de pourpre, le chef de l'église de Kald conduit sa troupe au combat.
Au sommet d'une butte, les éclaireurs de retour de mission rejoignent l'avant-garde. Ordre est donné de faire halte. Au son des boucliers et des armures entrechoquées, la troupe s'immobilise. Le silence se fait. Les chevaux piaffent et trépignent, leur haleine se mêle à celles des cavaliers et un nuage enveloppe bientôt le cardinal qui vient aux nouvelles.
L'hérétique a été repéré, il campe en contre-bas et sa maigre troupe est l'assurance d'une victoire facile. Chacun rejoint son poste pour prendre les dispositions de combat.
Mais tandis qu'il regagnait l'armée avec son escorte, brusquement le haut dignitaire a tourné bride et piqué des deux.
Il a dégainé son épée et fonce maintenant au grand galop sus à l'ennemi. La fois dernière, ses clercs de guerre lui ont volé sa victoire, il n'a pu que détrousser un cadavre à peine tiède. Aujourd'hui il connaîtra le goût du sang de sa victime.
Les guerriers saints se ruent à sa suite, mais hélas, le cardinal a déjà disparu dans la brume. L'ennemi est en sous-nombre mais charger une troupe retranchée c'est courir au massacre. Lorsque s'élève le son du cor d'alarme les cavaliers ne sont plus qu'à un jet de pierre du prélat mais trop tard ! Celui-ci a déjà franchi le fossé de défense, sous peu il va s'empaler sur les piquiers qui attendent en rang serré.
Le cardinal éperonne violemment sa monture qui fait un bond formidable et retombe dans un vacarme assourdissant...
Le cardinal gît au sol... Un cri retentit.
« Votre émminence ! Mon Dieu ! »
Affalé de tout son long un pied pris dans l'étrier du cheval de bois, Goupelin entrouvre un œil.
- Ca va, ça va dame Jeanne, nous nous sommes assoupis et nous avons chu.
- Vous ne devriez pas faire de cheval à bascule après votre tisane, vous savez bien que vos médecins l'ont interdit.

Il se dit que Maistre Bescherelle ferait remarquer que accuser à la première personne du singulier du temps présent s'écrit "accuse" sans "s" à la fin et que qui veut donner des leçons de français devrait prendre garde d'avoir les cuisses propres.
Maistre Bescherelle fera sa tournée annuelle en Yrédia dans 5 ou 6 lunes où il remettra avec un plaisir non dissimulé son ouvrage de conjugaison à qui de droit afin qu'icelui ne se prenne plus les pieds dans le tapis.

Le peuple d'Yrédia est heureux, quoi que prétendent les rumeurs Ostriotes.

La tutelle temporaire de l'Eglise y apporte la prospérité et éloigne la famine.
Les troupes et les clercs sont occupées à aider les miséreux et à en chasser les cagots hérétiques.

Le Cardinal en ces lieux va d'un village à l'autre, sans garde, dévoué à sa mission.
Point besoin de protection pour qui consacre sa vie à Dieu.

Chacun en KAld sait qui est l'ennemi de l'église. Il est seul et sa peau ne vaut pas bien cher. Il sera débusqué et tué.
Qu'on se le dise